Interview - Pascal Terrasse : « L’économie collaborative a cette vocation d’ouvrir le champ des possibles »

Retrouvez l'interview que j'ai donnée sur le blog des Débrouilleurs, réseau collaboratif de particuliers qui proposent des services de proximité :

Par David Frade

Le 9 février 2016, Pascal Terrasse, Député de l'Ardèche, remettait son rapport sur l'économie collaborative au Premier Ministre, Manuel Valls. Depuis, l'élu multiplie les interventions sur ce sujet dont il a fait sa spécialité. Alors qu'un nouveau texte réglementant l'économie collaborative est en passe d'être adopté, la loi "République numérique", nous nous sommes entretenus avec M.Terrasse qui considère qu'il ne faut pas freiner les opportunités que peut apporter l'économie collaborative à notre pays.

En période de reprise timide de l’activité économique en France, quelles opportunités peut représenter l’économie collaborative pour notre pays ?

“L’économie collaborative est une nouvelle forme d’échange de services, de biens, d’usages, entre des acteurs qui ont une prestation à soumettre et des clients qui veulent pratiquer un acte d’achat d’une manière plus protectrice de l’environnement, plus solidaire, ou le collaboratif et le coopératif ont du sens. Cette nouvelle opportunité ne doit pas nous faire perdre de vue qu’il existe aujourd’hui dans ce modèle, deux types de prestations qui sont offertes. Vous avez la prestation qui est organisée en C to C, c’est-à-dire entre particuliers qui vont effectuer des actions de partage. Mais vous avez aussi le cas où des professionnels vont être présents sur le secteur. Et donc moi je pense que c’est un moyen, pour ces professionnels qui font le pari de l’économie collaborative, de pénétrer des marchés qui étaient jusqu’alors, largement réglementés et rendus totalement inaccessibles. Ce nouveau modèle qu’est l’économie collaborative a cette vocation d’ouvrir le champ des possibles sur de nouvelles formes de prestations, de nouvelles formes d’usages, à des jeunes notamment, qui sont formés, qui sont qualifiés, mais très loin du marché de l’emploi. En ces temps de crise, il est plus simple de trouver des clients plutôt qu’un employeur, et donc beaucoup de jeunes tentent de l’exploiter avec cette démarche d’économie collaborative.

"Je considère qu'au fond, l'économie collaborative n'a pas besoin de réglementation fiscale plus que ce qu'il en existe."

On parle souvent de manque de règlementation en ce qui concerne ce secteur. Le gouvernement tente peu à peu de palier à ce manque avec, comme dernier exemple, la loi "République Numérique". Que pensez-vous de cette loi ?

“Je fais partie de ceux qui, en conclusion de mon rapport, ont dit qu’il ne fallait surtout pas sur-réglementer cette nouvelle économie. Ce qu’on peut reprocher d’ailleurs à la France,  c’est d’être trop réglementée, de ne pas assez libérer les énergies. L’idée de mon rapport, comme de la loi, c’est évidemment de faire la part entre le fait de ne pas briser cet écosystème, ne pas briser son élan, mais en même temps de rappeler, aux acteurs de l’économie collaborative, le droit. Moi je n’ai pas forcément envie, de ce point de vue-là, de mettre de la norme nouvelle. Je considère qu’au fond, l’économie collaborative n’a pas besoin de réglementation fiscale plus que ce qu’il en existe. Il suffit simplement que les acteurs de cette économie, soient des acteurs citoyens et paient leur fiscalité normalement. Et donc je vais différencier, évidemment, ce qui relève d’une activité professionnelle et ce qui relève d’économie collaborative. Mais dès qu’on réunit ces deux critères, on doit payer ses impôts normalement.”

Deux amendements ont été rajoutés par le sénateur socialiste Luc Carvounas, lors du passage du texte au Sénat, ne pensez-vous pas qu’ils sont plus pénalisant pour les utilisateurs que pour les plateformes de location de logement entre particuliers ?

“Si vous êtes propriétaire d’un bien, qui est votre résidence principale, que vous le louez jusqu’à 750 euros par mois, vous n’avez rien à déclarer, et donc rien ne change. Si par contre, dans le même cas, vous le louez plus de trois mois par an, et bien vous êtes dans une démarche de loueur de meublé. La loi existe en la matière. Au fond, le dispositif de Luc Carvounas ne dit rien d’autre que ce qui existe déjà pour les loueurs de meublé : qu’ils doivent se soumettre, comme tout le monde, à des contrôles, qu’ils doivent se déclarer en Mairie, ils doivent payer leur fiscalité par rapport aux revenus générés, comme tout le monde...  Il n’y a rien de très nouveau à cela. Sinon on rentre dans une société où, au fond, vous avez des gens qui font du business sans payer d’impôts, et d’autres qui font du business mais qui en payent. Cela porte un nom. La concurrence déloyale. Aucun pays au monde ne l’accepte. Donc le principe est de dire aux loueurs de meublés qui passent par des plateformes, et notamment Airbnb, qu’ils doivent se mettre en règle.

La deuxième question sous-jacente est : appartient-il à Airbnb de communiquer le montant des prestations de chacun ? Ça, c’est un autre sujet, moi je n’y étais pas réellement favorable, je pense qu’il est mieux de laisser du champ. Dans mon rapport néanmoins j’explique qu’il ne serait pas inutile, qu’a termes, les plateformes puissent communiquer le montant des revenus perçus.”

"Il y a aussi des petits malins, qui se sont servis de ce modèle économique pour faire de l'évasion fiscale."

Oui dans votre rapport, l’une de vos propositions consistait à faire communiquer par les plateformes les montants perçus par les utilisateurs afin de les voir apparaître directement sur la fiche de l’impôt sur le revenu.

“Oui, c’est à dire qu’aujourd’hui, n’importe quelle personne qui est salariée d’une entreprise, n’a pas à remplir ses déclarations de revenus puisqu’elle est pré-remplie. C’est l’employeur qui donne ces informations à l’Etat. Nous n’avons donc plus à le faire, c’est l’employeur qui s’en charge. Ensuite, on est allés plus loin ces dernières années, puisque tous les placements financiers, immobiliers ou assurantiels y apparaissent également. Si vous avez des avoirs ou des biens dans une banque, vous n’avez pas besoin de les déclarer puisqu’elle le fait à votre place. Donc utilisons les nouveaux moyens d’information et de communication venant de l’informatique pour donner les informations à l’administration fiscale. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas, à un moment donné, une obligation de déclaration de revenus. Mais simplement l’idée est pour nous de dire, qu’au sein de l’économie collaborative, il y a des gens très sérieux qui sont en règle totale, fiscalement parlant. Mais il y a aussi des petits malins, qui se sont servis de ce modèle économique pour faire de l’évasion fiscale. Ce que l’on reproche aux grandes entreprises en matière d’évasion, touche également les petits, donc il faut adopter une attitude qui soit similaire. De toute façon, s’il n’y a pas d’effraction, il n’y a rien à cacher.”

Certaines de vos propositions dans votre rapport rendu en février au gouvernement sont très ambitieuses, notamment la création d’un observatoire de l’économie collaborative. Ne pensez-vous pas que l’absence de ce genre d’articles dans la loi sur le numérique pourrait permettre à certains pays de nous rattraper sur ce secteur où la France est leader ?

“La vérité, c’est que cette loi est arrivée avant mon rapport. Elle a été examinée en deuxième lecture au Sénat après celui-ci mais il est difficile d’y apporter des amendements importants à ce stade et donc d’y inclure les solutions apportées par mon rapport. Je regrette qu’il n’ait pas pu être inclus dans cette loi. Ce qu’il faut savoir aussi, c’est qu’il devait y avoir la “loi Noé”, loi sur les nouvelles opportunités économiques présentée par Emmanuel Macron, et l’ensemble de mon rapport devait y être transposé. Malheureusement, ce projet de loi a disparu et avec, l’ensemble de mon rapport, ce qui est dommage. Ce sera peut-être repris dans le cadre d’un autre projet de loi futur, mais l’idée de créer un  observatoire de l’économie collaborative est essentielle. C’est à dire que l’on est face à un modèle économique qui est rapide par rapport à son mode d’organisation, qui est disruptif, qui pose des problèmes prospectifs… Et le temps politique, pour mettre une réglementation en place, est très long par rapport à l’évolution de l’économie. Il faut que ce temps politique s’accélère pour se calquer sur l’évolution économique et en particulier sur le collaboratif. L’idée de l’observatoire, ce n’est pas de légiférer ou créer des problèmes. On a essayé de légiférer la création avec d’Hadopi, à un moment où le Peer to peer posait problème, cela s’est révélé inefficace. On a vu que l’Etat a délibéré sur Uber il y a deux ans, et que cela pose toujours problème. La loi ne doit pas garder une vision restreinte sur l’économie collaborative parce qu’elle va s’y perdre. Cet observatoire doit être un lieu où se rencontrent l’administration et les acteurs économiques du secteur. Je plaide clairement pour la création d’une structure, dont le pilotage serait souple, et qui permette à la fois d’éclairer le législateur et les services de l’Etat mais aussi les acteurs sur les lois françaises et européennes en la matière. Ce lieu permettrait aussi de faire du benchmarking sur ce qui est fait au niveau mondial, notamment dans la Silicon Valley.”

On parle beaucoup d’emplois menacés par certaines entreprises qui utilisent le modèle commercial de l’économie collaborative, à l’image de Uber avec les taxis ou Airbnb avec les complexes hôteliers, pensez-vous que le vieil adage de l’économiste Schumpeter de “destruction créatrice” s’applique dans ces cas précis ?

“Chaque fois qu’il y a eu des transitions économiques, quelles qu’elles soient, il y a eu destruction puis création, donc il va falloir forcément passer par là, inévitablement. C’est la raison pour laquelle, et je le dis dans mon rapport, la France a intérêt à s’adapter et non pas à fermer les yeux face à ce qui arrive, puisque cela va s’imposer à nous de toute façon. Il faut que la puissance publique soit en capacité d’anticiper. L’anticipation passe par le numérique, où l’on est quand même très en retard, elle passe par l’engagement du pays en matière d’éducation autour des savoirs digitaux, par la création et la formation à des métiers autour du numérique. Je pense que si la France ne prend pas le tournant rapidement de cette transition économique, on va être rapidement doublés par nos voisins européens et évidement par les Etats-Unis qui sont très largement devant nous. Il faut que chacun se rende à l’évidence que l’histoire se répète. En Angleterre, au moment où les premières machines pour tondre les moutons sont arrivées, vous avez un mouvement politique (NDLR: mouvement des Luddites)  qui s’est créé afin de s’opposer à la mécanisation et la robotisation de la tonte des moutons, car il pouvait y avoir des incidences en matière de création d’emplois. C’est précisément le contraire qui s’est produit. Je ne voudrais pas que la France, comme elle l’a fait très souvent dans son histoire et notamment avec la mondialisation, tourne le dos à cette nouvelle économie puisqu’elle va s’imposer à nous de toute façon. Ce serait prendre le risque de voir notre pays détaché des grandes nations mondiales. Il y aura forcément destruction, surtout en ce qui concerne la désintermédiation, puisque c’est le principe du modèle collaboratif de supprimer les intermédiaires, avec des circuits très courts. Les postes dans cette catégorie risquent de disparaître, et donc la problématique pour nous va être de préparer la reconversion, notamment des femmes puisqu’elles vont être très touchées.”