Ma tribune dans Libération - Emploi : et si l’indépendant devenait la norme ?


A l'heure où le travail et les aspirations évoluent, repenser notre système de protection sociale est nécessaire. Tribune.

Samedi 17 septembre, Libération et L’Express organisent le Forum : «France, un modèle social à suivre ?», une journée de debat au siège d’Alticemedia, Pascal Terrasse participera à la rencontre  «Repenser l’emploi ?». Inscrivez-vous ici.

Depuis 2008, notre économie a connu de nombreux changements. S’ils peuvent paraître lents et poussifs pour certains, les premiers effets se font aujourd’hui concrètement ressentir. Einstein disait que de la crise naissaient l’invention, les découvertes et les grandes stratégies. En regardant dans le rétroviseur de l’histoire, il est légitime de croire qu’il avait visé juste. L’année 2008 aura été une année charnière. Tout le monde se souvient de la chute de Lehman Brothers et du début de la crise financière. C’est aussi en 2008 que plusieurs grandes entreprises de l’économie collaborative ont été créées et ont commencé à prendre leur envol.

Les géants du «numérique», et notamment ceux de l’économie collaborative, ont fait basculer nos sociétés dans un monde nouveau. La nature de nos échanges et les critères de temps, de lieu, d’espace, d’accès à l’information ont bouleversé notre rapport au travail. Les conséquences sur notre modèle social et culturel ont été considérables. L’emploi, bien sûr, n’a pas dérogé à la règle.

De nouvelles ambitions 

Si la génération précédente, qui a vécu les Trente Glorieuses et l’apogée de l’ère industrielle, envisageait de se former dans le but d’occuper un «emploi à vie» dans une seule et même entreprise, les aspirations des générations suivantes ont sensiblement évolué. Ma génération, entrée sur le marché du travail dans les années 80, a eu une tout autre approche : la nécessité de flexibilité afin de pouvoir convenir à plusieurs employeurs, d’adapter sa formation aux différentes situations de la vie. La génération actuelle est plus en quête de sens, s’imagine plus indépendante, loin du salariat traditionnel, et se projette dans le concept du self-emploi.

Le modèle de l’emploi salarié tel que nous le connaissons se fissure petit à petit. Les raisons sont multiples, à commencer par les inégalités persistantes au sein d’un système où «l’insider» est surprotégé et «l’outsider» précaire. L’accès des jeunes au marché de l’emploi a été rendu très difficile et les a contraints à imaginer un nouveau paradigme. Le système économique n’érige désormais plus le salariat comme la norme et de nouvelles formes d’emplois apparaissent : auto-entrepreneurs, «crowdsoucing» rémunéré, indépendants, «slashers». Non seulement le mythe de l’entrepreneur - sorti de son garage - se démocratise dans la société, mais la nouvelle génération aspire à créer de la valeur différemment : social et solidaire, collaboratif, coopératif.

Et de nouvelles perspectives d’emploi

La numérisation et la transformation digitale de nos sociétés ouvrent de nouvelles perspectives. Il est dorénavant beaucoup plus aisé de créer une entreprise et de trouver une clientèle, en particulier grâce au circuit court et la désintermédiation des échanges. La tâche des «freelancers» a été grandement facilitée ces dernières années. Mais c’est surtout pour la liberté qu’il offre que le régime de l’indépendant est de plus en plus plébiscité. Comme je le souligne dans mon rapport sur l’économie collaborative, l’un des défis du boom de l’auto-entreprenariat sera de faire converger les droits des salariés et ceux des indépendants, afin de sécuriser ce modèle et d’offrir une véritable protection aux personnes qui ont fait ce choix. De ce point de vue là, le compte personnel d’activité est un premier pas très encourageant.

Si le salariat traditionnel n’est pas encore près de disparaître, l’automatisation accrue et la robotisation sont appelées, dans un futur proche, à détruire des millions d’emplois. A richesse constante, l’enjeu sera de partager et de redistribuer au mieux les valeurs produites, par l’instauration d’un revenu universel de base par exemple. Nous devrons en tout cas repenser le financement de notre système de protection sociale. Dans une économie globalisée, l’échelle européenne pourrait d’ailleurs devenir le standard pour mettre en œuvre ce nouveau modèle social. Pour s’adapter à ce monde en pleine mutation, nous devons anticiper les changements et ne pas ignorer les aspirations d’une société toujours plus complexe.

Par Pascal Terrasse, Député de l’Ardèche
Publié par Libération le 30 août 2016 à 17:14
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